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13 juin 2024

L’Indonésie et la politique des binationaux

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Depuis un peu plus d’un an, l’Indonésie s’est lancée dans une politique de naturalisation importante de ses binationaux. Si cette politique n’est pas sans risques, la fédération a choisi une voix en plusieurs étapes qui semble viser le long terme.

Après avoir connu un âge d’or entre 1990 et 2005, le football indonésien a commencé à sombrer. Le pays possédait des infrastructures et des méthodes archaïques de formation, n’ayant par exemple toujours pas d’académies U12. Un problème quand, au même moment, de plus en plus de pays du continent investissaient dans la formation. Parallèlement à cette chute, au début des années 2010, la FIFA et l’AFC ont commencé à surveiller de près la PSSI, la fédération indonésienne. En 2012, elle n’avait plus aucune autorité sur son football et voyait ainsi se former un autre championnat en parallèle qui échappait à son contrôle. Menacée de suspension pour ingérence, la PSSI a fini par régler le problème, mais en est ressortie grandement affaiblie. Une menace avec lendemains puisque l’Indonésie était suspendue en mai 2015, en raison de son incapacité à organiser des matchs de championnat, à la suite de désaccords avec des gouverneurs locaux.

Cette suspension a entraîné une réelle prise de conscience au sein de la fédération et de l’ensemble du football indonésien, rongé par l’incompétence et surtout la corruption. S’en sont suivies plusieurs années de purification interne, avec la suspension de certains dirigeants impliqués dans des scandales de corruption beaucoup plus médiatisés que dans la plupart des autres pays asiatique. Il fallait redonner une bonne image au football indonésien auprès des grandes instances, mais aussi des politiciens locaux, qui méprisent beaucoup ce sport. Le football indonésien a alors commencé à se relever. Cela a coïncidé aussi avec l’arrivée d’une génération particulièrement talentueuse, avec notamment Witan Sulaeman, Marselino Ferdinan, Syahrian Abimanyu, Nadeo Argawinata et Egy Maulana Vikri. Mais cela ne suffisait pas pour réellement espérer obtenir des résultats. C’était une équipe joueuse, accrocheuse, mais très inefficace dans les deux surfaces. La PSSI était incapable de former d’excellents défenseurs et d’excellents buteurs. Alors, comme les voisins thaïlandais, malaisiens et philippins, l’Indonésie a dû se tourner vers ses binationaux.

Un choix potentiellement dangereux

Sur le continent, certaines sélections comme l’Irak ou la Palestine sont devenues des références dans l’utilisation des binationaux, et ont fortement progressé avec. Ce sont néanmoins des cas plutôt isolés. Ces dernières années, la Thaïlande, la Malaisie ou les Philippines ont essayé et ça ne s’est pas bien passé, surtout chez le dernier pays cité. Depuis une décennie, les Philippines, qui jouissent d’une importante diaspora partout dans le monde, naturalisent tous les binationaux qui se présentent. Cela afin de compenser la situation catastrophique du football local : un championnat devenu terriblement faible et une fédération corrompue et passive. Cela donc créé un afflux permanent de nouveaux joueurs sans aucune cohérence tactique, ni linguistique. Aucun ne parle cebuano ou tagalog, les deux langues les plus présentes sur l’archipel, tous ne parlent pas anglais, puisque certains viennent du Japon ou des pays hispanophones. Leur manière de jouer au football est aussi très différente. Cette stratégie a été très contre-productive, d’autant que la fédération ne s’en est pas servie pour développer le football local et n’a presque pas investi dans la formation locale.

Vision globale

Pour la PSSI, il fallait donc gérer cette transition et cette arrivée de binationaux. Contrairement à la diaspora philippine, la diaspora indonésienne est concentrée en majorité dans un seul pays : les Pays-Bas, ce dernier ayant colonisé une grande partie des îles formant aujourd’hui l’Indonésie (rappelons que les Indes orientales néerlandaise, devenues Indonésie en 1945, avaient participé à la Coupe du Monde française de 1938). Cela a donc créé une cohérence linguistique. De plus, la fédération naturalise des joueurs majoritairement à des postes nécessaires. Elle travaille en lien avec le sélectionneur des équipes A et U23, Shin Tae-yong. Cela permet aussi aux joueurs de se motiver entre eux, car ils ne sont pas seuls au milieu de l’inconnu. Dans certains cas, il n’est pas rare que des binationaux naturalisés manquent de motivation, ou ne viennent en sélection que pour l’argent, étant souvent très bien payés pour rejoindre leur pays d’origine. Dans le cas de l’Indonésie, c’est un peu moins le cas, les joueurs sont exposés à une grosse ferveur et une certaine pression mise par les fans, qui les pousse à se dépasser.

Enfin, pour gérer ce mélange entre locaux et binationaux et éviter que des clans se forment, il faut un sélectionneur charismatique, que la PSSI a trouvé en la personne de Shin Tae-yong. L’ancien sélectionneur de la Corée du Sud gère parfaitement son équipe, alliant bonne ambiance et exigence. Mais surtout, il est aussi sélectionneur des U20 et des U23, une pratique très courante dans l’ASEAN, ce qui lui permet de suivre les joueurs depuis leur post-formation jusqu’à leur arrivée en sélection première et donc, de les connaître parfaitement. Le Sud-coréen, par ses bons résultats et sa capacité à tirer le meilleur de ses joueurs, est devenu unanimement respecté sur l’archipel et est un grand artisan de la progression de sa sélection.

Une stratégie payante ?

Malgré les risques, l’intégration des binationaux semble se passer parfaitement bien, grâce au travail et à une stratégie intelligente. Car l’arrivée de joueurs binationaux ne s’est pas faite en une fois, mais en plusieurs vagues.

La première a été lancée en fin d’année 2022, avec l’arrivée de milieux à vocation défensive, Justin Hubner et Ivar Jenner, et de l’avant-centre Rafael Struick. Ces deux postes étaient considérés comme prioritaires par Shin Tae-yong. Ces derniers ont intégré l’équipe U20, puis les U23, et rapidement l’équipe A. Ils ont alors participé à quelques matchs amicaux afin de s’intégrer progressivement. La deuxième vague a eu lieu en milieu d’année 2023 avec les naturalisations de Sandy Walsh et Shayne Pattynama, deux latéraux. Ce poste était moins prioritaire, mais comptait des joueurs encore très jeunes. Les joueurs de ces deux premières vagues ont participé au premier tour des phases de qualifications à la Coupe du Monde 2026, au début du deuxième tour, et surtout à la Coupe d’Asie, compétition au cours de laquelle la sélection indonésienne a atteint les huitièmes de finale pour la première fois de son histoire. La troisième vague, en mars 2024, était moins concentrée sur des profils en particulier. Le but était désormais d’offrir une plus grande profondeur de banc et de nouvelles possibilités à Shin Tae-yong. Il y a donc eu les arrivées, entre autres, de Jay Idzes, défenseur central, de Nathan Tjoe A On, latéral gauche, de Thom Haye, milieu défensif, ou encore de Ragnar Oratmangoen, ailier gauche. Grâce à ce nouvel afflux, l’Indonésie a terminé deuxième de son groupe de qualifications, derrière l’Irak, mais devant les rivaux vietnamiens et philippins. La « Tim Garuda » est donc qualifiée pour le troisième et dernier tour de qualifications à la Coupe du Monde.

Le raz de marée n’est pas terminé puisque le Tournoi Maurice Revello est l’occasion d’assiter à la quatrième vague. Si le latéral Calvin Verdonk a rejoint la sélection senior, cette dernière concerne principalement des joueurs U20 qui ont profité du tournoi pour faire leurs premiers pas chez les Garuda. Certains se sont déjà révélés, à l’image de l’ailier Mauresmo Hinoke, buteur contre le Japon, et dont les dribbles et les accélérations ont surpris plus d’un adversaire, du défenseur Dion Markx, qui a aussi montré un beau potentiel, ou du latéral Welber Jardim, qui n’est pas binational néerlandais mais brésilien, mai qui a pu faire démontrer ses qualités techniques. Certains ont cependant montré des difficultés dans cette équipe indonésienne très jeune et qui manque de cohérence. C’est le cas du défenseur Tim Geypens, pas très rassurant, et de l’avant-centre Jens Raven, plutôt transparent pendant les matchs.

Reste que contrairement à ses voisins, l’Indonésie a compris que les binationaux ne remplacent pas une bonne formation locale. S’ils permettent de renforcer une équipe et de faire progresser des sélections, ils ne suffisent pas. Ils sont cependant les éléments clés d’une stratégie à long terme, comme le démontre cette dernière vague, qui pourrait avoir pour objectif de se hisser un jour en Coupe du Monde. Une stratégie qui commence à faire des émules, le Vietnam s’engageant sur le même chemin.

 

Killian Besson (Lucarne Opposée)