L'âme d'une formatrice. En presque vingt ans de carrière sur un banc, Tracey Kevins a voyagé, connu plusieurs expériences mais n'a jamais dérogé à ses principes : ceux de former du mieux qui soit les générations de demain. Des U15 féminines de l'Angleterre aux U20 Américaines, en passant par les catégories U17 et U19 des deux pays et même des clubs comme LA Strikers FC ou encore LA Blues Soccer Club et Seattle Reign FC en tant que directrice technique, Kevins a multiplié les casquettes. Sa mission depuis deux décennies : transmettre sa passion et contribuer au développement du football féminin. A deux mois de la Coupe du Monde U20 qu'elle disputera à la tête de la sélection U20 des Etats-Unis, elle confie attacher une importance capitale à la Sud Ladies Cup, dernière répétition générale avant le grand bal. Entretien.
Mme Kevins, en tant que sélectionneure d'une équipe nationale, qu'est-ce que cela représente pour vous de participer à la Sud Ladies Cup ?
Pour nous, c'est un moment très important de l'année. Nous nous préparons pour la Coupe du Monde en août au Costa Rica, donc ce tournoi est vraiment fondamental pour deux choses. D'une part, il nous permet de choisir notre équipe pour cette compétition et, d'autre part, il nous permet de nous mesurer à des adversaires potentiels lors de la Coupe du monde, comme les Pays-Bas, qui font partie de notre groupe, mais aussi la France ou le Mexique, que l'on pourrait retrouver plus loin dans la compétition. C'est pourquoi il est très important pour nous de venir nous tester ici.
L'équipe des États-Unis est toujours considérée comme la favorite. En tant qu'entraîneure, comment gérez-vous ces attentes ?
Je pense que c'est une évidence, c'est quelque chose dont les joueuses sont parfaitement conscientes dès qu'elles portent ce maillot. Mais malgré cela, nous voulons aussi nous développer et il est vraiment important que notre équipe féminine reste la meilleure équipe au monde. Ces joueuses incarnent la future génération. Oui, nous avons l'ambition de toujours bien faire, d'être dans la compétition, de gagner des tournois, mais surtout de former des joueuses pour notre future équipe féminine, ce qui est toujours la priorité numéro un.
Vous avez beaucoup d'expérience en tant qu'entraîneure des équipes de jeunes en Angleterre et aux Etats-Unis, dans différentes catégories d'âge, quelles sont les principales évolutions que vous avez remarquées depuis de nombreuses années dans le football féminin ?
Je pense que tout devient de plus en plus rapide. Les jeunes d'aujourd'hui sont entourés de football tout le temps à la télévision, donc il faut vraiment s'assurer qu'ils ont une bonne compréhension et qu'ils veulent devenir des "étudiants" du jeu. Ensuite, je pense que pour nous, il s'agit de développer des joueurs qui sont prêts pour le jeu de demain. Il sera encore plus rapide, encore plus technique, encore plus athlétique... Nous devons donc savoir comment préparer les joueurs à ce niveau, c'est extrêmement important.
Comment préparez-vous les joueuses à passer à ce niveau supérieur justement ?
C'est difficile. La catégorie U20 est l'un des derniers grands points de départ avec les U23, donc nous travaillons en étroite collaboration avec le staff de l'équipe nationale senior pour nous assurer que nous travaillons vraiment dans ce sens, avec un style de jeu et des principes pour toutes nos équipes féminines jusqu'à l'équipe A. Nous sommes dans une position où les mouvements entre les équipes sont plus fluides, pour que les joueuses puissent évoluer et être intégrées dans ces équipes. Cette intégration verticale est essentielle pour le développement de nos joueuses.
Tracey Kevins avec sa joueuse Lauren Flynn
De par votre carrière, vous avez pu voyager, jouer contre de nombreux pays étrangers, comment avez-vous perçu l'évolution du football féminin ? Avez-vous le sentiment que les autres pays se développent bien ?
Oui, nous savons que le reste du monde, d'une part, investit davantage dans les équipes de football féminin et, d'autre part, la qualité des joueuses qui sortent des pays est encore meilleure. Donc pour nous, afin de rester en tête, nous devons nous assurer que nous continuons à nous développer en tant que nation et à investir dans notre jeu. Je pense que c'est une excellente chose pour notre sport que nous ayons une concurrence aussi saine dans le monde entier.
Vous travaillez dans un pays où le football féminin est au moins aussi attractif que le football masculin, mais ce n'est pas encore le cas dans d'autres pays par exemple. Que peuvent faire les dirigeants pour accroître l'attrait du football féminin dans le monde ?
Je pense que c'est toujours une question difficile car le football masculin est encore relativement nouveau aux États-Unis. La MLS a été créée dans les années 1970 et les clubs ont été fondés dans les années 1980 et 1990... Il y a donc encore du travail à faire pour faire tomber les barrières. Nous avons vu de bons investissements de la part des clubs et des dirigeants pour s'assurer que le football féminin continue de prospérer, même s'il n'est pas considéré comme un concurrent au masculin. C'est un sport mondial, c'est le football que nous aimons tous. Il devrait vraiment être accessible et disponible pour tous les joueurs, quel que soit leur sexe, mais cela nécessite de l'argent et des investissements. Et puis il y a vous, les médias, la diffusion... C'est génial que la Sud Ladies Cup soit couverte par une chaîne locale en France (la chaine L'Equipe, NDLR), peut-être que des petites filles regarderont les matchs à la maison et penseront "je pourrais un jour représenter ma nation et jouer pour la France"... Ce genre de choses est fondamental.
La Coupe du Monde Féminine U20 de la FIFA commence dans deux mois, peut-on dire que les préparation débute maintenant ?
Ces derniers mois ont été très difficiles et le groupe est assez fracturé. Nous sortons tous du COVID, nous n'avons pas vraiment eu le nombre de rassemblements que nous aurions eu dans un cycle normal, c'est la même chose pour le reste des nations. Pour nous, il s'agit de continuer à développer notre style de jeu, nos principes, et d'essayer de mettre ces éléments en action. Nous travaillons sur la façon dont nous pouvons traduire cela dans des matchs vraiment significatifs, les trois adversaires que nous allons jouer ici sont des top équipes. Pour nous, c'est un premier test, nous voulons vraiment essayer certaines choses en vue de la Coupe du Monde, mais c'est aussi la compétition qui prime. Nous voulons toujours que nos joueuses soient dans cette position et qu'elles battent les meilleurs adversaires.
La dernière fois que les États-Unis ont joué la Sud Ladies Cup en 2018, ils l'ont remportée. Est-ce quelque chose d'inspirant pour vous et pour les joueuses ?
Oui, quand on pense à la Sud Ladies Cup, on pense à Sophia Smith ou Naomi Girma, des joueuses qui sont déjà avec l'équipe féminine A... Donc oui, c'est une autre grande opportunité d'avoir des matchs internationaux significatifs, mais l'important, c'est la fin, c'est ce qui se passe après. Le trophée est important bien sûr, personne ne dira jamais qu'il ne veut pas gagner, mais il est important pour elles de savoir où elles souhaitent aller.
Propos recueillis par Amayes Brahmi et Mathieu Lauricella