Pour la cinquantième édition du Tournoi Maurice Revello, le Japon est représenté par ses U19. Au sein du groupe, le sélectionneur Yuzo Funakoshi a convoqué neuf joueurs évoluant dans une université. Un système universitaire, très méconnu en Europe, qui est pourtant l’un des éléments clés de la montée en puissance du football japonais.
Pour bien comprendre la place du football universitaire au Japon, il faut d’abord se tourner vers l’histoire.
Le football est arrivé au Japon à la fin du XIXe siècle, dans des ports comme Kobe ou Hiroshima. Rapidement, ce sont les lycéens et les étudiants qui se le sont approprié, ce qui a amené à la création de clubs au sein des structures d’enseignement. Au milieu des années 1910, un championnat national inter-lycée a vu le jour, rapidement suivi par un équivalent universitaire. En 1921, est lancée la Coupe de l’Empereur, dont le trophée sera par la suite fortement lié aux universités. Ces dernières justement y participent, mais sans un immense succès, puisque ce sont les lycées qui dominent à l’époque. Certains sont déjà très avancés dans leur fonctionnement, à l’image de Mikage Shihan, une légende des années 1910 et 1920. La tendance s’inverse cependant à la fin des années 1920, la victoire de l’Université Waseda en 1928, marquant le début d’une domination qui a duré presque trente-cinq ans.
À cette période, le football se pratique presque uniquement à l’université. Personne ne peut vivre uniquement du sport. Cela permet donc à certaines d’entre elles de marquer l’histoire du football nippon. Cinq ressortent du lot : Waseda, Todai, Kwansei Gakuin, Chuo et surtout Keio. Cette dernière, avec neuf titres, est l’entité sportive ayant remporté le plus de Coupes de l’Empereur, devant des clubs professionnels comme Urawa Red Diamonds ou Yokohama F.Marinos. Ce chiffre de neuf est cependant contesté, puisque le titre de 1932 n’a officiellement pas été remporté par l’université, mais par un club fondé par les élèves de cette dernière. Valide ou non, ce record reste un témoin de l’hégémonie de ce football. Mais avec la professionnalisation de certains clubs d’entreprises comme Furukawa Electric (aujourd’hui le JEF United Ichihara) ou Toyo Kogyo SC (Sanfrecce Hiroshima), les clubs universitaires sont rapidement rattrapés puis et dépassés. Première à avoir remporté la Coupe de l’Empereur en 1928, l’Université Waseda est aussi la dernière à la remporter, en 1966.
Au cours de cette décennie des années soixante, de véritables championnats universitaires sont formés et, malgré de nombreuses évolutions, ils existent encore de nous jours. Tout comme les universités, dont le rôle a changé. Désormais, elles sont des centres de post-formation, dans lesques les joueurs peuvent progresser et obtenir un diplôme. Après un certain déclin au début des années 2000, avec l’occidentalisation du football japonais, l’universitaire s’est relancé ces dernières années et a pu voir passer des joueurs connus dans le monde entier comme Kaoru Mitoma ou Junya Ito et de futures stars telles que Kein Sato, Soma Anzai, Kento Shiogai ou encore Kotaro Uchino. Cette machine à post-formation suit un fonctionnement qui s’est affiné au fil des années.
Kotaro Uchino reçevant son prix de meilleur joueur du championnat universitaire
Une véritable pyramide
Les championnats universitaires modernes existent donc depuis environ soixante ans. Ce long héritage leur a permis de mettre en place un véritable réseau footballistique et une organisation tentaculaire. Chaque région sportive du Japon (Hokkaido, Tohoku, Kanto, Hokushinetsu, Tokai, Kansai, Shikoku, Chugoku et Kyushu) a ainsi leur championnat universitaire, certains étant plus relevés que d’autres. Le meilleur de tous est celui du Kanto, la plupart des joueurs devenant professionnels après leur passage en universitaire venant d’un établissement basé dans le Kanto. L’organisme chargé de gérer le football de la région est la JUFA Kanto. Elle a mis en place trois divisions, les KUSL 1, 2 et 3, qui regroupent environ une quarantaine d’équipes d’universités, avec un système de promotion et relégation. En dehors de ces trois divisions, d’autres équipes universitaires évoluent à l’échelon inférieur, comme la Ligue Métropolitaine de Tokyo, ou dans d’autres ligues préfectorales. Il est cependant presque impossible pour un joueur évoluant à ces niveaux d’espérer intégrer le monde professionnel à l’issue de son cursus.
Les universités possèdent ainsi une équipe principale qui joue le championnat universitaire régional. Mais elles peuvent avoir d’autres équipes qu’elles envoient disputer des championnats préfectoraux, des coupes locales ou des matchs amicaux. Certaines jouent même en ligue régionale, au milieu de véritables clubs amateurs, sans pour autant pouvoir prétendre à une promotion en JFL, la ligue semi-professionnelle nippone (quatrième division), n’ayant pas le droit d’évoluer hors du monde amateur. Enfin, même si elles ne l’ont plus gagnée depuis 1966, elles peuvent donc toujours participer à la Coupe de l’Empereur. C’est alors l’occasion pour certains joueurs de briller face à des clubs professionnels.
Les universités s’organisent ainsi comme de véritables clubs. Les plus huppées mettent en place des processus de scouting pour attirer les meilleurs joueurs qui disposent ainsi de bourses et sont exemptés d’examen d’entrée. Les clubs de football universitaires disposent donc de scouts et sont presque gérés comme des clubs de foot professionnels avec pour certains des entraîneurs pour chaque poste, divers préparateurs, un staff médical voire des analystes vidéo et data.
Former les têtes et les corps
Ce fonctionnement permet d’atteindre un objectif : assurer la progression des joueurs tout en leur permettant d’étudier en parallèle. Avant d’être des footballeurs, les joueurs du système universitaire sont des étudiants. Ils participent donc à certains cours et passent des diplômes. Cela leur permet d’avoir une porte de sortie en cas d’échec dans le monde du ballon rond, ou pour assurer l’après-carrière. C’est en tout cas en théorie, car dans la réalité, la période la plus importante pour les étudiants japonais est le « shukatsu », la période où les grandes entreprises recrutent et où les meilleurs postes sont à pourvoir. Chaque étudiant de troisième année est concerné, ce qui ajoute une pression supplémentaire sur les épaules d’un joueur de club universitaire même si, à cette période, beaucoup savent déjà s’ils pourront viser une carrière de footballeur dans le futur.
Mais même si les études ne sont pas négligeables, le principal intérêt du club universitaire reste la progression footballistique du jeune joueur. Contrairement à une académie, où chacun se bat pour sa place, et à un club pro, où il n’y parfois pas de place à l’erreur, les étudiants peuvent progresser avec beaucoup moins de pression, en ayant l’assurance de jouer. Une solution parfois utilisée par les clubs professionnels avec leurs jeunes. L’exemple le plus connu est celui de Kawasaki Frontale avec Kaoru Mitoma. Si son cas est à part, il est rare qu’un joueur aussi talentueux file en universitaire, son passage par la case université a montré une autre valeur positive de ce parcours. Avant d’arriver à l’Université de Tsukuba, Kaoru Mitoma ne parlait presque pas un mot d’anglais. Il l’a donc appris là-bas et peut désormais comprendre ses coéquipiers à Brighton.
Reste que face à la concurrence des centres de formations et des académies, un très grand nombre de jeunes rejoignant le milieu universitaire ne sont pas forcément considérés comme des futures stars de leur catégorie d’âge. Mais suivre ce chemin leur offre l’occasion de progresser mais aussi l’espoir de faire tout de même carrière. Un des cas les plus parlant est celui de Kyogo Furuhashi. Formé au Lycée Kokoku d’Osaka, il était un inconnu lorsqu’il a rejoint l’Université Chūō. Après en avoir été diplômé, il est recruté par le club du FC Gifu, en deuxième division. Il brille alors en J2 League et attire les regards du Vissel Kobe puis, aujourd’hui, du Celtic.
Son cas est un exemple particulièrement intéressant des autres apports du football universitaire. Pour les clubs un peu moins prestigieux, qui évoluent par exemple en deuxième et troisième division des championnats universitaires et qui n’ont pas un staff pléthorique, une certaine partie des entraînement et exercices sont des situations de coups de pied arrêtés, des exercices faciles à mettre en place. Pour les buteurs, ils permettent ainsi de travailler les qualités de placement, de timing, de jeu aérien et de finition. C’est sans nul doute grâce à cela que Furuhashi a développé ses qualités de renard des surfaces. C’est aussi pour cette raison que la plupart des tireurs de coups de pied arrêtés des clubs de J.League sont d’anciens étudiants.
Enfin, les joueurs ne sont pas les seuls acteurs du football formés sur les bancs des universités. Au sein des staffs des clubs, on retrouve de nombreux étudiants qui se forment pour devenir préparateurs, recruteurs, analystes vidéo ou data, des médecins du sport… Avec succès. Dans le domaine de la data, on retrouve ainsi souvent des étudiants en informatique ou en mathématiques qui développent des méthodes reconnues. Les étudiants de Tsukuba sont régulièrement invités dans des clubs et universités de tout le pays pour leurs avancées dans l’analyse de datas. Ceux de Todai ont noué un partenariat avec le Wacker Innsbruck en Autriche grâce à l’efficacité de leur méthode d’analyse vidéo et la création de méthodes d’entraînement optimales.
Tradition centenaire au Japon, le football universitaire est plus que jamais vivace, il est aujourd’hui le plus beau symbole de l’optimisation japonaise, impactant tout le football local. À l’heure de l’exode massif des talents locaux vers l’Europe, il est ainsi devenu le plus grand pourvoyeur de joueurs des championnats professionnels nippons, près de la moitié des joueurs japonais évoluant en J1 League ces dernières années étant passés par ce système. À l’image de Kento Shiogai. Le triple buteur face à l’Italie en ouverture du cinquantième Tournoi Maurice Revello représente l’Université de Keiō. Il a déjà fait trembler les filets de J.League avec les Marinos dont il représente déjà l’avenir.
Kilian Besson (Lucarne Opposée)