Sensation de l’édition 2023, le Panama dispute ce mercredi son dernier match de groupes. L’occasion idéale de s’attarder un instant sur la nation montante de la zone CONCACAF.
Tout suiveur du Tournoi Maurice Revello connait désormais les noms de Ricardo Phillips et autre Ángel Orelien. En trois éditions, les Canaleros panaméens sont devenus une valeur sûre de la compétition, se montrant capables de regarder n’importe quel adversaire droit dans les yeux. Si la performance pouvait surprendre au début, c’est désormais moins le cas. D’autant que tout cela n’est certainement pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’un long processus initié il y a désormais plus de vingt ans.
Les frères de la révolution
Le sport-roi est présent sur l’isthme depuis la fin du XIXe siècle, mais a longtemps peiné à se faire une véritable place, notamment face au baseball. Il faut dire que le football a souffert durant une très longue période d’un manque d’organisation, au niveau local, nous allons y revenir, mais aussi et surtout de sa sélection. Longtemps isolée, il faut attendre 1976 pour voir une sélection panaméenne participer aux éliminatoires d’une Coupe du Monde, la sélection nationale est laissée comme livrée à elle-même durant des décennies, bousculée par les crises qui se succèdent et qui aboutissent même à une désaffiliation de la FIFA pendant quatre ans dans les années 1980. C’est pourtant à cette époque qu’une révolution se prépare. Elle porte un nom : Dely Valdés.
Suivant les pas de leur frère ainé, le regretté Armando, Julio César et Jorge s’expatrient en Argentine puis en Uruguay pour grandir sur le plan footballistique. Ils deviennent alors les symboles des années 1990 qui voient les footballeurs panaméens de talent s’expatrier rapidement pour faire carrière et venir garnir les rangs d’une sélection qui met petit à petit fin aux vagues de naturalisation de la décennie précédente. Après une carrière chargée, qui les a notamment conduits à mener la sélection en finale de la Gold Cup 2005 lors de la troisième participation de son histoire, les jumeaux Dely Valdés rentrent au pays pour reprendre en main le football local. Ils décident alors d’appliquer un modèle qui a démontré ses bienfaits : le projet uruguayen d’Óscar Washington Tabárez.
Julio Dely Valdès sous le maillot du PSG entre 1995 et 1997
Mini-Uruguay
L’idée est simple : la sélection est un club, les A représentent l’équipe sénior qui doit être alimentée par des sélections de jeunes qui obéissent à un processus de formation des futurs A. Lorsqu’ils reviennent au pays, les deux frères se partagent donc la tâche : Julio César s’occupe des A, Jorge des catégories de jeunes. Ils imposent alors ce nouveau mode de fonctionnement et professionnalisent la sélection. Des objectifs individuels et collectifs sont fixés, un nouveau code de discipline instauré – certains joueurs sont écartés, cadres compris, le temps de comprendre et respecter les nouvelles règles. Mais le message passe. La complémentarité des frères Dely Valdés fait avancer la sélection qui change aussi de calibre, affiche de nouvelles ambitions. Cela passe notamment par de meilleurs adversaires choisis pour les amicaux (sous Julio César, Panamá affronte par exemple l’Espagne et le Portugal). Les résultats ne tardent pas : les Canaleros battent et devancent les USA en phase de groupes de la Gold Cup 2011, s’imposent à deux reprises face au Mexique en 2013 (en groupes et en demi-finale) avant de tomber en finale. Pendant ce temps, les joueurs de la sélection s’exportent vers le continent ou l’Europe. Le processus uruguayen sauce Panamá a pris, il passe à un rien d’offrir la Coupe du Monde lorsqu’un maudit soir de 2013, la qualification pour le Brésil s’envole dans les ultimes secondes d’un dernier match disputé à domicile et que les USA remportent en marquant à deux reprises dans les arrêts de jeu, envoyant le Mexique à la place des Canaleros.
Lorsque Julio César quitte la sélection A, la fédération nomme Hernán Darío Gómez. Ancien adjoint de Francisco Maturana, el Bolillo s’inscrit dans la continuité et ajoute la volonté de proposer un jeu plus technique, plus fluide. Cela fonctionne au point que Panamá se hisse à la Coupe du Monde 2018, son Graal. Le temps de digérer l’immensité de l’exploit, le modèle a fait ses preuves. En 2020, Thomas Christiansen prend les rênes de la sélection et s’inscrit totalement dans cette lignée. Le projet global va même bien au-delà. À l’image d’un Marcelo Bielsa à son époque chilienne, le technicien danois insiste alors sur la nécessité de « formation, non seulement du joueur mais aussi des entraîneurs » lors de la conférence de presse annonçant sa prolongation jusqu’en 2026. Alors le staff technique se déplace dans les différentes provinces pour apporter ses connaissances, les diffuser sur le territoire. L’ensemble d’un football regarde dans la même direction, se fixe les mêmes objectifs. Au sein des sélections, il est demandé de respecter un cadre commun en termes de jeu. Pour s’en assurer, Jorge Dely Valdés est présent au sein du staff et gère les jeunes. Conséquence, les bons résultats se poursuivent : une nouvelle finale de Gold Cup en 2023, deux quatrièmes places dans la jeune CONCACAF Nations League, et des A qui se hissent à la 41e place du classement FIFA fin 2023, meilleur classement historique et un statut de troisième puissance de la zone derrière le duo USA-Mexique. Chez les jeunes, la sélection devient une habituée des rendez-vous mondiaux chez les U20, participant à une édition sur deux et décrochant un huitième de finale en 2019. Quant aux U17, ils ont disputé trois phases finales de Coupe du Monde au cours des 15 dernières années alors qu’ils n’y avaient jamais participé avant 2011. Cette montée en puissance des sélections panaméennes se répercute également chez les féminines, qui ont décroché leur première phase finale de Coupe du Monde de l’histoire en 2023. Tout cela n’est pas seulement le fruit de la révolution, il est aussi celui d’une prise de conscience générale et d’une volonté commune de tous les acteurs de la vie panaméenne de faire du football l’un des meilleurs de sa zone.
Le Panama face à la Belgique lors de leur premier match de la Coupe du Monde en 2018
Une histoire collective
En juin 2023, Panamá crée la sensation en atomisant le Mexique en finale du Tournoi Maurice Revello. Si certaines sélections semblent ne pas accorder à ce tournoi l’importance qu’il mérite dans ces catégories d’âge, sur l’isthme, la réaction est tout autre. Le succès est ainsi salué par le président de la république en personne, Laurentino Cortizo, qui y voit « une étape historique pour le football panaméen ».
Il faut dire que l’État n’est pas étranger à ce processus. Pour progresser et donc nourrir les sélections, le football panaméen a fait en sorte de ne pas reproduire le désastre des années 1990 en cherchant à compter sur des expatriés. Pour cela, il a réorganisé son football professionnel en impliquant à la fois le secteur privé, mais aussi le ministère public. Le gouvernement a ainsi investi l’équivalent d’un peu plus de 170 millions d’euros dans le développement des infrastructures sportives à partir du début des années 2000. Pendant ce temps, fondée en 1988 sous le nom d’Asociación Nacional Pro Fútbol (ANAPROF), la ligue panaméenne a connu un premier coup d’accélérateur en 2009 lorsqu’il est décidé de mettre fin à une vingtaine d’années de conflits en créant la Liga Panameña de Fútbol (LPF). Celle-ci établit des passerelles avec l’Espagne et le Costa Rica, trouve des partenaires privés pour financer et diffuser ses matchs qui se déroulent dans des stades tous rénovés.
Derrière la vitrine professionnelle, alors que les clubs majeurs développent leur centre de formation, diverses académies naissent aux quatre coins du pays, soutenus parfois par le gouvernement, d’autres fois par des partenaires privés. Certaines organisent des conférences pour éduquer leurs joueurs et dirigeants. Crée en 2008, La Academia Costa del Este, qui a depuis donné douze joueurs à la sélection nationale, a par exemple accueilli ces derniers jours Sandra Rossi, la femme qui a permis la révolution Gallardo à River Plate et au sein de la sélection argentine par ses approches de neurosciences. Grâce à cette professionnalisation de tous les pans de son football, un véritable maillage national se crée au pays. Un immense championnat masculin et féminin, nommé Torneo Nacional Infanto Juvenil Copa McDonald´s, est organisé pour les U14 et les U16. Il concerne, ainsi plus de 2500 jeunes qui ont disputé un total de plus de 860 matchs au cours desquels ils ont été observés et disputent des finales nationales dont les résultats sont publiés sur le site de la fédération et dans plusieurs grands médias locaux.
Pierre supplémentaire à l’édifice et démonstration ultime que tous les acteurs de la société panaméenne sont impliqués dans ce vaste projet football, la fédération compte dans son organigramme un Departamento de Desarrollo (département de développement), qui mène plusieurs projets allant de la formation des recruteurs pour mieux détecter les talents, la formation des entraîneurs de jeunes, divers travaux d’améliorations des conditions de la pratique, jusqu’au grand projet du Centre de Haute Performance dont le chantier a débuté en février 2023. Cette sorte de Clairefontaine sauce panaméenne hébergera toutes les sélections panaméennes, pas seulement de football à onze. Et devrait contribuer à permettre à tout un football de poursuivre son chemin vers le succès à grande vitesse. Un football qui pourrait non seulement venir s’installer à la table des géants de la zone, mais aussi et surtout devenir un modèle à suivre.
Nicolas Cougot (Lucarne Opposée)
Crédit photo: Guillaume Boitiaux